La Russie se tourne vers l’Asie

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Face à la menace de sanctions brandie par l’Occident, Moscou développe ses relations avec la Chine, le Japon et la Corée du Sud. Analyse de l’hebdomadaire russe Kommersant Vlast.

Lors de ses deux dernières adresses au parlement de Russie, le président Poutine a assigné aux députés la tâche de développer activement les liens avec l’Asie orientale. Déjà, en septembre 2013, le ministère pour le développement de l’Extrême-Orient russe avait vu l’étendue de ses pouvoirs substantiellement élargie. Aujourd’hui, remarque un de nos interlocuteurs au sein du gouvernement de la Fédération, un développement forcé des relations avec l’Asie est une des principales assurances envisagées dans le cas où l’Occident adopterait des sanctions sévères et paralysantes contre la Russie.

Sergueï Men, partenaire associé du cabinet d’investissements hongkongais Eurasia Capital Partners, en est convaincu : l’Asie peut véritablement devenir, pour la Russie, une alternative à part entière à l’Union européenne. Il souligne que les pays d’Asie du Sud-Est sont le marché à la croissance la plus rapide pour les produits clés de l’export russe : hydrocarbures, métaux, chimie, alimentaire. La Chine, pour sa part, même si elle le cède à l’UE en volume des échanges commerciaux avec la Russie, est le plus gros partenaire commercial de la Fédération depuis 2009 (89 milliards de dollars par an en 2013).

Longtemps, l’obstacle au développement des relations russo-chinoises a été l’absence d’infrastructures de transport : Transneft n’a ouvert son seul oléoduc vers la Chine qu’en 2010, et les négociations que Gazprom conduit depuis 2006 sur la construction de gazoducs d’une puissance de 68 milliards de m3 dans la République populaire demeurent pour l’instant vaines. Sachant que la construction de canalisations, de chemins de fer et d’usines de liquéfaction du gaz exige au moins cinq ans, la Russie risque de ne pas avoir le temps de se diversifier, déplore ainsi un responsable politique du bloc financier et économique. D’autant que la Russie n’a pas d’argent pour des chantiers de grande échelle dans la région.

Pour Sergueï Men, toutefois, l’argent est loin de constituer un problème majeur. L’expert financier rappelle que la Chine est le pays possédant les plus importantes réserves d’or et de devises du monde (plus de 3,8 trillions de dollars), devant le Japon (plus d’1,28 trillion de dollars). À en croire M. Men, les Chinois octroieront volontiers de gigantesques crédits à Moscou en échange d’une garantie de fournitures de matières premières. Un mécanisme qu’a déjà éprouvé la corporation étatique russe Transneft, dont le président, Igor Setchine, s’est entendu en 2013 sur l’accord à sa société d’un crédit de 80 milliards de dollars par des compagnies pétrolières chinoises en échange de l’assurance de livraisons futures d’hydrocarbures. « C’est un modèle qui peut être suivi par 10 à 20 des plus grosses entreprises de matières premières de la Fédération. Et dans ce cas, le budget survivra à n’importe quelles sanctions », affirme notre source au gouvernement.

Pékin est volontiers prêt à aider ses partenaires de la Fédération, assure une source de Vlast proche d’une des banques d’État chinoises. Bien que la République populaire ait réagi politiquement avec retenue aux événements en Crimée (la Chine a appelé à une solution pacifique du conflit et s’est abstenue lors du vote au Conseil de sécurité de l’ONU qui jugeait le référendum dans la région), sur le plan économique, en revanche, Pékin est très activement prête à aider Moscou à survivre à d’éventuelles sanctions.

Et la Russie semble prête à accepter cette proposition. Ainsi, le 20 mars 2014, jour du sommet de l’UE à Bruxelles, Tokyo a accueilli un immense sommet russo-japonais des investissements, au cours duquel Igor Setchine a notamment invité les corporations japonaises à investir dans tous les projets de Rosneft. Et du 8 au 11 avril, l’île chinoise de Hainan accueillera le forum économique de Boao, que la Chine positionne depuis longtemps comme le « Davos de l’Asie » et le principal lieu d’échange avec les décideurs de la République populaire. À en croire notre source au comité d’organisation, on attend cette année à Boao une importante délégation russe, constituée de nombreux figurants des « listes noires » occidentales, notamment le propriétaire du pétro-trader Gunvor Guennadiï Timtchenko mais aussi Igor Setchine et le président de Gazprom Alexeï Miller. Cette délégation sera présidée par le vice-Premier ministre russe Arkadiï Dvorkovitch.

Pour Vassiliï Kachine, du Centre d’étude des stratégies et des technologies, la Chine amplifie le développement de ses liens avec la Russie pour assurer sa propre sécurité énergétique. Pékin cherche à obtenir un accès aux hydrocarbures russes par le biais de canalisations terrestres afin de réduire sa dépendance à des itinéraires maritimes vulnérables, que les États-Unis peuvent décider de fermer à tout moment.

La Russie, de son côté, aspire également à développer ses relations avec la Corée du Sud et surtout avec le Japon, qui est extrêmement inquiet face à l’ascension de la Chine. « Depuis l’arrivée au pouvoir du cabinet du nouveau Premier ministre Shinzo Abe, Tokyo place de grands espoirs sur la collaboration avec la Russie. L’objectif n’est pas seulement de développer les affaires des compagnies japonaises en Extrême-Orient russe, mais aussi d’aider la Russie à éviter de devenir un appendice de matières premières de la Chine », a expliqué à Vlast un des experts conseillers du gouvernement japonais. Au nom de l’établissement de bonnes relations avec la Russie, et avec Vladimir Poutine personnellement, Shinzo Abe a été l’unique leader du G7 à assister aux JO de Sotchi. Néanmoins, la pression se renforce aujourd’hui sur Tokyo, confie un diplomate japonais. « Les États-Unis font très fortement pression sur nous pour que nous envisagions de nous joindre aux sanctions, bien que nous n’en ayons absolument pas envie », lui fait écho une source de Vlast proche du gouvernement sud-coréen.

Les États-Unis devront faire un choix géopolitique grave, constate Sergueï Men. Soit Washington continue de faire pression sur Tokyo et Séoul pour renforcer l’isolation de Moscou, soit elle autorise ses partenaires en Asie à se limiter à des sanctions purement symboliques – pour ne pas pousser Moscou dans les bras des camarades chinois, en ne laissant à la Russie pas d’autre choix.

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mag
mag
27 mars 2014 15 h 42 min
Poutine a raison ,l’ UE sont des irresponsables ! tout cela va mal finir ! Je me demande jusqu’a quand va durer la patience de V.Poutine ?
Alkali
Alkali
27 mars 2014 18 h 10 min
Mag, il ne s’agit pas de patience mais d’un passage étroit (rasoir d’Occam) entre deux options aussi néfastes l’une que l’autre. Soit d’un coté la soumission aux diktats US (ce qu’il ne fera pas) soit réagir comme les occidentaux, c’est à dire par pulsion de frustration, et déclencher une guerre globale dont il sera tenu pour responsable aux regards de l’Histoire.
Le bloc occidental, en pleine déliquescence, n’a pas besoin qu’on le provoque, et donc que l’on justifie sa colère.
Il tombera tout seul, comme un grand machin visqueux qu’il est. C’est sa propre cupidité et sa propre croyance en son invulnérabilité qui le feront chuter, et pas une réaction incontrôlée de Poutine. Jusque là, celui-ci à réagit avec beaucoup d’intelligence, ne souhaitons pas que cela change. Ce n’est pas parce-que le bloc occidental agit de manière idiote et cynique que l’on est obligé de réagir de la même manière.
Plus ce bloc qui se croyait invincible prendra conscience de son erreur, plus il gueulera fort et plus il démontrera ce qu’il est vraiment. Aujourd’hui son vrai visage devient plus clair pour un nombre croissant de personnes dans le monde et même aux USA.
Il y a un ensemble de choses qui ont déclenchées cette prise de conscience, Snowden, Assange, la Syrie, la Libye, et maintenant la Crimée et le Venezuela.
Poutine et les Brics se rapprochent pour préparer l’après US power. Une réaction intempestive de Poutine peut déclencher une guerre planétaire…. alors attendons la chute de l’empire US sans verser dans un bellicisme hors de propos.
THOMAS
THOMAS
27 mars 2014 18 h 18 min
La Russie trouvera toujours un moyen de s’en sortir,mais pas l’Europe aussi je ne pense pas que des sanctions sévères soient appliquées contre la Russie,les grands perdants seront les états-unis, leur hégémonie prend fin