L’affaiblissement d’un rouble surévalué est réellement bon pour l’économie russe
On peut lire un commentaire intéressant sur l’édition du Bloomberg du 9 octobre, écrit par l’éminent journaliste libéral Léonid Bershidsky.
Nous ne sommes généralement pas d’accord avec lui, mais force est de constater qu’il écrit là quelque chose que nous avons toujours dit : à bien des égards, un rouble faible est bon pour la Russie.
Aussi, les différents gros titres quelque peu affolés faisant état d’un cataclysme pour la Russie sont pour le moins ridicules.
Le gouvernement russe a souhaité pendant des années pouvoir surévaluer un rouble faible. C’est ce que font aujourd’hui Obama et l’Union Européenne. Une autre conséquence des sanctions infligées à la Russie.
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D’un point de vue technique, la chute du rouble à plus de 40 roubles pour 1 dollar, 17 % plus faible qu’au début de l’année, est le résultat direct de la rupture des marchés financiers avec les entreprises russes ainsi que la chute du prix du pétrole.
Toutefois et d’un autre point de vue, la baisse du rouble est aussi le reflet de la structure économique du pays et c’est aussi ce qui permet à Vladimir Poutine de rester populaire.
Le gouvernement n’a pas d’intérêt à défendre le rouble. Une monnaie faible sert davantage les exportateurs de ressources, principales sources de revenus de la Russie. L’inflation qui en résulte équivaut à un impôt payé par les citoyens ordinaires et finance la politique agressive de Vladimir Poutine, mais ces électeurs ne représentent que peu de poids en Russie. Et, pour l’instant du moins, ils semblent heureux de payer pour la résurgence internationale du pays tel qu’il est.
Lundi, quand le rouble est descendu en dessous de 40 pour un dollar, pour la première fois de l’histoire, la banque centrale a semblé vouloir faire une grève du zèle, même si elle est intervenue pour le soutenir. Quatre fois durant la journée, où elle a dépensé chaque fois 350 millions de dollars, la banque a élargi les limites de fluctuation du rouble dans la corbeille dollar/euro de 5 kopeks, pour voir si le marché trouvait un nouvel équilibre dans la chute. À 18 heures précises, les interventions ont stoppé. La journée était terminée. Rien de tout cela ne suggère un état de crise.
Bien que la dégringolade du rouble était retenue autant que possible, la banque centrale laissait également les entreprises se ravitailler sur les échanges extérieurs pour pouvoir répondre aux exigences de service de la dette au quatrième trimestre. On note un pic de rachat qui apparaît pour décembre et Morgan Stanley a estimé un remboursement total de la dette, au quatrième trimestre à 47 milliards de dollars contre 26 milliards au troisième trimestre. Comme les entités russes ont aujourd’hui des difficultés à lever des fonds, tant aux États-Unis qu’en Europe, la Banque Centrale apparaît comme la dernière source de financement restante. Ses réserves sont passées de 457 milliards de dollars à 454 milliards de dollars la semaine dernière, ce qui lui laisse de quoi couvrir les besoins des débiteurs pour encore un certain temps.
L’autre raison pour laquelle le rouble est en baisse provient du net recul du prix et de la valeur du pétrole. Après que la fuite des capitaux ait atteint 48,8 milliards de dollars au premier trimestre et que la Russie ait annexé la Crimée, ce chiffre est tombé à 25,8 milliards de dollars au deuxième trimestre et le taux de change du rouble est retourné à sa corrélation normale avec le prix du pétrole. Le graphique du 8 octobre, ci-dessus, de Standard & Poor’s montre comment cela s’est passé :
Le total des exportations de gaz et de pétrole s’élève à 52,9 % des revenus fiscaux de la Russie entre janvier et avril de cette année. La plupart des entreprises qui sont contrôlées par l’état et qui fournissent ces revenus, ont des coûts affichés en rouble. Comme le prix à l’exportation baisse, elles se félicitent d’une monnaie nationale faible.
Les citoyens et les entreprises non commerciales ne constituent qu’une petite part des revenus du gouvernement. En effet, la population russe active, telle que la police, les enseignants, les médecins, les bureaucrates et le nombre croissant de militaires, bénéficie d’abord du financement de l’état et paye ensuite des impôts. La Russie est en proie à une malédiction des ressources classique : le gouvernement, qui contrôle les hydrocarbures, est un bienfaiteur pour l’électorat de Poutine, plutôt que d’être un service qui serait contrôlé par le peuple. Le commentateur politique, Kirill Rogov, a surnommé ces personnes dépendantes du gouvernement le parti des rentiers.
L’importance de ce parti explique l’acceptation des Russes d’une inflation galopante et la chute du rouble. Les chiffres officiels, 0,24 % de hausse des prix à la consommation en août et un bond de 0,65 % en septembre, n’affichent pas une tendance qui reflèterait une justice. D’après les chiffres de 2011, les dernières données disponibles auprès de l’agence officielle des statistiques russes, les importations ont représenté 43 % du volume du commerce de détail de la Russie. En raison de la dévaluation, mais aussi de la baisse de la compétitivité des importations, conséquence de l’embargo de Vladimir Poutine sur l’alimentation, certains articles spécifiques ont connu une augmentation à deux chiffres en août et septembre.
L’autonomie renforcée et causée par les sanctions et la faible monnaie pourraient avoir bénéficié à la Russie à différents niveaux, en permettant aux producteurs locaux d’investir et de se développer. Standard & Poor’s l’a pointé, notamment par les effets de la substitution à l’exportation. La production industrielle russe a augmenté plus vite qu’en 2013. Le moment n’est toutefois pas bien choisi, pour une thérapie de choc, au vu de la chute du prix du pétrole.
Si le prix du pétrole continue à baisser, le parti des rentiers sera doublement en danger. D’un côté, il devra affronter la baisse des subventions et de l’autre, la montée de l’inflation. Le soutien continu de Poutine dépendra de sa capacité à tirer son épingle du jeu et combien de temps il pourra tenir.Et c’est bien le prix du pétrole et non les sanctions, qui déterminera la suite de l’histoire.
Leonid Bershidsky
Traduit par Patricia Lachelier pour Réseau International
http://russia-insider.com/en/business_opinion/2014/10/14/11-42-13am/putin_doesnt_care_if_ruble_falls