Une vie normale, comme des millions de garçons italiens. Se réveiller le matin, aller au travail dans le centre commercial, de temps en temps sortir avec les amis, avec sa copine. Jour après jour, semaine après semaine. Puis, un matin, tu te réveilles. Et tu n’es plus Gabriele, tu ne vas plus travailler, tu ne rencontres plus ta fiancée : tu es en zone de guerre. Au-dessus de toi un ciel plus bas que le nôtre, un horizon plus large que le nôtre, interminable, le panorama inoubliable des terres du Donbass et un vent froid à couper le souffle. Autour de toi, des camarades à la vie et à la mort : ils t’appellent Archange, du nom de guerre que tu t’es choisi. L’armée gouvernementale de Kiev te tire dessus avec son artillerie, le froid, la faim, le danger de mort suivent tes pas. Qu’est-ce qui pousse un garçon italien à tout donner pour la Novorussie ? Nous avons cherché à le comprendre en interviewant Arcangelo, qui a gentiment accepté de répondre à nos questions.
Qui était Gabriele Carugati en Italie ? Qu’avait-il de semblable, et de différent, par rapport à tant de garçons de 25 ans qui cherchent un travail, prennent des copines, et rompent avec elles, commencent peut-être à penser à se ranger et, si la situation le permet, fonder une famille ?
Un garçon assez normal, introverti et avec un travail (agent de sécurité dans un centre commercial). Avec le temps, les sorties avec les amis étaient de moins en moins fréquentes, se limitant aux amitiés nouées au travail, abandonnant les plus anciennes. J’ai toujours eu un intérêt particulier pour l’histoire et la géopolitique, qui m’a amené, grâce à certaines attitudes personnelles, à avoir des idées polémiques dans le monde “libre” et “démocratique” des légendes. Je n’ai jamais compris l’indifférence de la masse pour certaines questions, et je ne la comprends toujours pas ; heureusement, je ne suis pas le seul, mais ce qui peut-être me différencie des autres, c’est que certaines choses, j’y pense à plein temps, sans beaucoup de distractions. Famille ? Avenir ? Je suis là aussi pour ça, que les plus âgés ne m’en veuillent pas, mais je veux pouvoir regarder dans les yeux mes enfants, sans devoir penser : “quel monde de merde je vous laisse… débrouillez-vous” ou encore pire : “faites comme moi, on ne peut pas faire autrement”.
La question que beaucoup ont dû te poser : pourquoi ?
Pourquoi ? Pour ne pas me sentir mal à l’intérieur, et un “merci” au peuple russe, avec lequel j’ai peut-être moins de mal à me sentir à l’aise, sans lui, je serais probablement en Syrie à combattre des fous saoudiens… je le ferai sûrement, mais je me serai déjà endurci. La Libye me brûle encore mais je sais que nous Italiens, nous saurons nous faire pardonner. Comme je l’ai dit, je suis déjà au point sur certaines idées et le soutien à la Novorussie a été immédiat. La propagande occidentale a atteint des niveaux obscènes, un jour, dans le même article de la Prealpina (quotidien de la province de Varese), on lisait “tsar” et “Union soviétique”, c’est une honte, si on parlait de la Russie moderne… il faut avoir de sérieux problèmes pour signer certaines choses.
De très nombreux Italiens ne savent même pas ce qu’est la Novorussie, et beaucoup se limitent à lire les journaux et à regarder la télé, qui décrivent les “séparatistes” comme des bandits agressifs “ennemis de la paix” : qu’est-ce qui t’a poussé à choisir ton camp de façon aussi à contre-courant ? A quel moment as-tu décidé : je pars pour Donetsk ?
C’est depuis le début du conflit que je réfléchissais à cette décision, mais je remettais toujours à plus tard, la faute à une jeune fille, la seule, en dehors de la famille, à qui j’ai dit où je voulais aller : elle ne connaissait pas la situation, mais quand je lui ai expliqué le pourquoi de ce choix, sa réaction a été positive, je ne me lie pas avec beaucoup de gens, mais ce sont des gens bien. Lorsque les fêtes d’octobre sont arrivées, j’ai envoyé un message à mon responsable : “Je ne reviendrai pas après les vacances”, et à la fin du mois j’étais à Rostov.
Quelle a été la réaction de tes proches ? Ils ont compris les raisons de ton choix, ou ils y ont mis obstacle ?
Ma famille a fait de faibles tentatives pour me convaincre de ne pas partir, plus par peur de ce qui peut m’arriver que pour autre chose.

Quand tu es arrivé en Novorussie, quelle a été ton impression ?
C’est la première fois que je suis dans une zone de guerre, et certaines choses vous font de l’effet, des blindés et des maisons détruits à quelques centaines de mètres à peine de la frontière russe. Puis, je crois que les garçons du bataillon humanitaire, qui m’ont emmené en Novorussie, voulaient me mettre à l’épreuve, et ils m’ont aussi emmené à l’hôpital de Donetsk, mais l’effet a été inverse, voir des personnes mutilées, évidemment éprouvées, qui avaient toujours le sourire aux lèvres, m’a donné encore plus de force pour continuer.
Quelles sont les conditions de vie de la population, d’après ce que tu as pu voir ?
Certainement pas des meilleures, beaucoup comptent sur les aides humanitaires et d’autres se sont enfuis, mais quand on se promène dans Donetsk, on ne le dirait pas : transports publics, boutiques ouvertes et rues pleines de gens, cet aspect des choses m’a certainement frappé.
Sur les photos que tu postes sur Facebook, tu es souvent avec des gens très différents de toi par la provenance, la langue, la culture : et pourtant, on voit clairement que vous êtes liés par des sentiments forts : c’est une impression juste ?
Nous combattons pour la même cause, ici au bataillon Vostok tous sont des volontaires ukrainiens et russes, l'”italianski” fait un certain effet, mais ils me traitent très bien, et quand je parle de leur immense solidarité, ils m’appellent “good boy”. Beaucoup me demandent quand je rentrerai à la maison, et moi je réponds que nous y passerons en allant à Lisbonne.

Il y a quelque chose en particulier qui t’a frappé dans l’Armée novorusse ? Les choses sont comme tu t’y attendais ?
L’organisation et la grandeur (peut-être un peu trop dispersée). Les seules choses auxquelles je ne m’attendais pas, ce sont les étoiles rouges, la faucille et le marteau, et les “tovaritch”, tout ça est nouveau pour moi, mais nous sommes en Novorussie, je ne m’attendais évidemment pas à “à nous, camarade !” [orig. “a noi camerata!”, salutation mussolinienne, NdE]
Il y a d’autres volontaires italiens qui combattent pour Donetsk ?
Outre Andrea Palmieri, j’ai entendu parler d’Italiens dans la brigade Prizrak, et, au changement de la garde à la base d’entraînement, j’ai eu le plaisir de faire connaissance avec un autre Italien juste à mon arrivée ; j’espère pouvoir aller avec lui, il est déjà formé pour ce qui est de l’entraînement militaire, et il peut m’aider beaucoup.
Il y a eu un moment où tu as regretté ta décision et as été sur le point de tout laisser tomber et rentrer à la maison ?
Absolument pas.
Comment est la vie quotidienne au front ?
Je n’ai pas encore été au front, on verra plus tard.
As-tu déjà eu vraiment peur, depuis que tu es en Novorussie ?
Je ne suis pas habitué aux bombes, mais je n’ai pas eu particulièrement peur, sauf un soir où une bombe est tombée à une trentaine de mètres de nous, et, tout de suite, la petite grand-mère qui habite au coin du poste de contrôle est venue nous demander comment nous allions (nous, nous étions encore allongés par terre).

L’ennemi : quelle idée tu t’en es fait ? Quels sentiments éprouves-tu à leur égard ?
L’ennemi est l’ennemi, mais Russes et Ukrainiens doivent absolument faire la paix, comme me l’a dit très justement Pariel, le garçon qui traduisait pour l’officier, à mon arrivée à la base Vostok : “Ici on combat la “junte”, pas le peuple ukrainien !” Je peux me mettre en colère, mais je n’ai pas de haine, je pense que le jour où je haïrai mon ennemi, ce jour-là, il m’aura vaincu.
Comment finira la guerre ?
Par une guerre encore plus importante, je veux être réaliste et je ne nourris pas d’espoir d’une sorte de coup d’État interne dans les “pouvoirs forts”, francs-maçons, Bilderberg, illuminati, aliens, Schtroumpfs, ou qui que ce soit.
Et toi ? Que penses-tu que tu feras après ?
Moi ? Je continuerai à me battre. On ne peut pas bayer aux corneilles quand on a la corde au cou ou qu’on sait que nos frères et sœurs se trouvent dans cette situation.

Il y a énormément d’Italiens qui, malgré une propagande obsédante, respectent la Russie et qui même croient que précisément de sa résistance aux logiques de l’impérialisme, peut naître aussi un espoir pour notre pays : que peuvent faire ces gens pour vous aider ? Et les autres ? Les indifférents, ceux même qui sont hostiles : as-tu un message pour eux ?
Sincèrement je vois un ami dans la Russie, mais je me méfie toujours, si j’ai appris une chose, c’est que l’ennemi a plus de facilités pour nous battre de l’intérieur que dans un affrontement direct ; regardez l’Église catholique… Je n’ai jamais aimé dire aux autres ce qu’ils ont à faire, mais j’ai un conseil pour amis et ennemis : nous sommes de minuscules formes de vie sur un petit grain de sable dans un désert tellement immense que nous ne savons même pas s’il a une fin ; un pet cosmique, et nous devenons des poussières d’étoiles ; alors pensez en grand… on mérite ça.
Traduit par Rosa Llorens
Merci à Tlaxcala
Source: www.vineyardsaker.it/sfera-di-civilta-russa/novorussia/nome-di-battaglia-arcangelo-un-ragazzo-italiano-nel-donbass/
Date de parution de l’article original: 29/11/2014
URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=14096
Bonne lutte jeune homme, tu es déjà une légende.
“Surtout, soyez toujours capables de ressentir au plus profond de votre coeur n’importe quelle injustice commise contre n’importe qui, où que ce soit dans le monde. C’est la plus belle qualité d’un révolutionnaire.”
Ernesto Che Guevara