Grigory STAVRIDIN 30.09.2014 10:15
L’ « étrange armistice » signé au Donbass et les prochaines élections parlementaires en Ukraine ont un peu occulté les événements en Transcarpatie, où la situation est quelque peu agitée. Le nationalisme radical ukrainien est devenu décisif pour façonner la nouvelle politique du régime, réunifier la Crimée avec la Russie et mobiliser les Ukrainiens pour les opérations punitives contre la Novorossia : autant de facteurs qui ont contribué à donner un nouvel élan aux tendances séparatistes dans la région transcarpatienne. Les parlementaires ukrainiens ont accordé l’autonomie à certaines parties de deux régions orientales, tandis que Budapest soutient fermement la revendication de la minorité hongroise d’un statut spécial pour la Transcarpatie.
Le 26 septembre, le Premier ministre hongrois Victor Orban s’est rendu dans la région, à Beregovo. On s’attendait à ce qu’il déclare inacceptable d’appeler les Hongrois au service militaire puis de les envoyer au Donbass. Il était également censé rappeler que la Transcarpatie devait se voir accorder l’autonomie en vertu du résultat des référendums tenus il y a 23 ans au niveau régional et du district (Beregovo). Ces attentes sont restées vaines. Les gardes d’Orban ont maintenu les journalistes à distance. Il n’y a pas eu de conférence de presse. Selon les rares informations émanant du conseil du district de Transcarpatie, le Premier ministre hongrois s’est contenté d’en appeler à un « dialogue ouvert » et à la « poursuite de la coopération » avec l’Ukraine voisine.
La réserve affichée par Victor Orban pendant sa visite en Ukraine occidentale devrait faciliter la tâche à Budapest. Elle traduit en effet son soutien à ses compatriotes hongrois aspirant à l’autonomie ou à un statut fédéral pour la Transcarpatie à un moment où l’Ukraine traverse une période critique de son histoire. Le gouvernement hongrois ne peut pas ignorer que, depuis un certain temps, on inculque à la population civile ukrainienne l’idée d’un « complot russo-hongrois » contre Kiev. La patience de Washington et Bruxelles vis-à-vis de la politique indépendante d’Orban est peut-être à bout.
Un autre élément peut expliquer la réserve du dirigeant hongrois en Transcarpatie. Avant sa visite, le distributeur de gaz hongrois FGSZ Ltd. a suspendu ses livraisons à l’Ukraine pour une durée indéterminée. Selon la société, cette décision a été prise en vue de satisfaire une demande nationale croissante. Selon la société pétrolière et gazière d’État ukrainienne Naftogas, cette décision a été influencée par la rencontre, quelques jours auparavant, entre Arthur Miller, le patron de Gasprom et le Premier ministre hongrois Victor Orban, concernant l’éventualité d’une augmentation des livraisons de gaz russe à la Hongrie.
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La menace posée par le nationalisme ukrainien ne laisse de préoccuper la diaspora hongroise et les Ruthènes, natifs de Transcarpatie. Le coup d’État de février à Kiev n’a fait que renforcer ces inquiétudes. Les Ruthènes et les Hongrois ont le même objectif. Ils sont confrontés à la même menace. Les motifs de préoccupation sont pléthore : il suffit de se rappeler qu’une des premières initiatives du nouveau régime de Kiev a été l’abolition de la loi de 2012 sur la « politique linguistique de l’État », qui autorisait l’existence du ruthène, du hongrois et du roumain comme secondes langues officielles régionales.
Le mouvement séparatiste de la Transcarpatie est revenu sur le devant de la scène début août, lors des protestations massives contre la « troisième vague » d’appel sous les drapeaux pour participer à l’opération punitive contre le Donbass. En Transcarpatie, le mouvement pacifiste panukrainien a aussitôt pris des accents nationalistes. Les Ruthènes et les Hongrois ont fait part de leur réticence à se battre pour le régime. Ce sentiment a été bien compris à Budapest.
Les protestations des Ruthènes et des Hongrois reposaient sur des fondements juridiques solides. Le 1er décembre 1991, un référendum a été organisé à Beregovo au niveau régional et des districts. 78 % des votants se sont déclarés en faveur de l’autodétermination dans l’État d’Ukraine. Plus de 80 % des votants de Beregovo soutenaient l’idée de la création d’un district autonome hongrois.
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C’est un secret de polichinelle que les Hongrois de Transnistrie comptent sur le soutien de la « nation mère » pour exercer une influence diplomatique sur Kiev. Les Ruthènes se tournent de plus en plus souvent vers Budapest. Ils ont de bonnes raisons pour cela : en Hongrie, ils bénéficient officiellement du statut d’ethnie indépendante. L’Ukraine, quant à elle, reste sourde aux aspirations des Ruthènes. Par ailleurs, le territoire hongrois accueille plus fréquemment des congrès hongaro-ruthènes en vue de discuter du statut de la Transcarpatie. Le 8 août 2014, Budapest a ainsi accueilli un congrès des représentants des communautés ruthènes et hongroises de Transcarpatie. Les participants ont convenu d’unir leurs efforts en vue d’obtenir un statut fédéral pour la Transcarpatie en Ukraine. Un mois plus tard se tenait une nouvelle rencontre du Congrès mondial des Hongrois et du Congrès mondial des Ruthènes des Sous-carpates (bien peu de gens connaissaient l’existence de la République russe des Sous-carpates en Ukraine, aux côtés des Républiques populaires non reconnues de Donetsk et de Lougansk). Les délégués ont décidé d’en appeler au Parlement européen, aux gouvernements de Hongrie et d’Ukraine, en vue d’obtenir que soient reconnus les résultats du référendum de 1991 sur le statut fédéral de la région de Transcarpatie en Ukraine.
Sur la rive opposée de la Tisa, une autre force politique puissante soutient l’idée de l’autonomie pour les Hongrois et les Ruthènes de Transcarpatie, à savoir, le parti nationaliste hongrois Jobbik, le Mouvement pour une Hongrie meilleure.Il a organisé une série d’actions dans le bâtiment du parlement hongrois à Budapest pour attirer l’attention du public. Pas une fois ses leaders n’ont fait de déclarations scandaleuses selon lesquelles l’Ukraine serait un état artificiel créé de toutes pièces et que la Transcarpatie devrait être réintégrée à la Hongrie, etc. Le 16 septembre, les députés du parti Jobbik ont voté contre la ratification de l’accord d’association entre l’UE et l’Ukraine. Ils ont expliqué leur décision par le fait que Kiev ne respectait pas les droits des 200 000 Hongrois vivant dans le pays.
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Aujourd’hui, il n’est pas impossible que Kiev répète en Transcarpatie les erreurs commises au Donbass. La capitale ukrainienne a toujours réagi tardivement aux événements tumultueux qui ont suivi le coup d’état anticonstitutionnel et s’est toujours montrée réticente à faire des concessions à ceux qui ne soutenaient pas le régime. Quant à ceux qui vivent de l’autre côté de la Chaîne des Carpates, ils se déclarent en faveur d’une solution fédéraliste. Autrement dit, il reste une chance que la région reste dans les frontières de l’État ukrainien. Encore combien de temps ?
Grigory STAVRIDIN
Traduit par Gilles Chertier pour Réseau International