L’union fait la force. En Espagne, des dizaines de mouvements sociaux ont pris la route. Des indignés de tous bords, lassés d’être maltraités par leur gouvernement, qui marchent vers la capitale. Rendez-vous géant prévu demain à Madrid.
Étudiants, retraités, travailleurs précaires, chômeurs, personnel de santé ou de l’éducation… Ce sont des manifestants de tous âges qui ont commencé à marcher, dès le 20 février dernier, et en partance de six régions du pays, pour rejoindre la capitale espagnole samedi.
Ces six groupes, appelés des “colonnes”, forment les Marches de la dignité, qui réunissent plus de 150 collectifs et mouvements sociaux unis contre “le vol des droits et l’appauvrissement généralisé de la majorité sociale”, selon leur manifeste. Ils lancent un appel “pour la dignité et contre le mépris de l’État espagnol”.
Leurs revendications se résument en quatre points:
- Refus du paiement de la dette,
- Arrêt des coupes budgétaires,
- Rejet des gouvernements au service de la Troïka (CE, BCE et FMI),
- Un “travail et un toit pour tous”.
L’alliance indignée
“Cette idée est née l’été dernier, en juillet” se souvient Ginés Fernández, coordinateur du Frente Cívico (Front Civique, mouvement social né en 2012 qui promeut le pouvoir citoyen):
Face à l’augmentation des coupes budgétaires et à la résignation de ceux qui pensaient que la situation n’avait aucune issue, il fallait faire quelque chose. Nous avons donc décidé de nous unir, entre associations citoyennes, pour montrer le mécontentement social et populaire dans la rue”.
Depuis leur première réunion en septembre dernier, plus d’une centaine de collectifs se sont unis aux Marches de la dignité. Plusieurs mouvements, comme celui des indignés du 15M, des victimes des hypothèques (PAH), de la marée blanche du personnel de santé, mais aussi des syndicats et partis politiques anticapitalistes, unissent ainsi leurs forces pour rejoindre le centre du pays.
Même s’il avoue ne pas espérer beaucoup du gouvernement actuel, pour Ginés, leur mouvement a déjà gagné:
À court terme, nous avons déjà gagné l’union populaire d’organisations qui manifestaient séparément jusqu’à lors. Il était important de se regrouper pour obtenir notre objectif commun… Qui sera un long chemin au vu de la grave situation dans laquelle nous sommes tous”.
Soutien populaire pour les marcheurs
À chacun de leurs arrêts, les membres des six colonnes qui traversent le pays sont nourris et logés par les habitants et mairies, majoritairement favorables au mouvement. Pour Remedios García, qui aide depuis son village à coordonner l’accueil des marcheurs, son implication était logique:
Je travaille mais mon salaire a été baissé de 50% à cause de la crise. Je m’identifie complètement avec les objectifs du mouvement, parce que nous souffrons d’une crise immense et beaucoup ne peuvent même plus survivre”.
Son rôle, aux côtés des autres volontaires, est de mobiliser les habitants des villages alentours pour qu’ils rejoignent la marche et de chercher des locaux pour loger les marcheurs ou les nourrir. Agréablement surprise du résultat, elle raconte:
Nous sommes allés chercher des vivres dans des magasins qui nous les donnaient gratuitement ou baissaient sensiblement le prix. La sympathie générale s’explique facilement: les gens sont fatigués”.
Moins bien accueillis que le pape
De son côté, Lola Val, porte-parole de l’organisation coordinatrice de la colonne Nord-ouest, nuance ce soutien:
La mairie de Madrid a refusé de mettre à disposition les collèges que nous avions demandé pour que les marcheurs se reposent la dernière nuit. Par contre, quand le pape est venu, tous les locaux publics ont été réquisitionnés pour loger les pèlerins, c’est une honte !”
L’autre option pour ces marcheurs sera cette fois de se loger chez l’habitant. Mais Lola tient à préciser que ce refus de la capitale espagnole n’est pas seulement dû à la couleur politique de sa mairie:
Pourtant, dans la plupart des autres villages visités par les marcheurs, les mairies ont ouvert les portes de leurs complexes sportifs et autres salles pour les loger. Même les mairies du PP (Partido Popular, conservateur, ndlr), parti au pouvoir contre lequel nous luttons à cause des coupes budgétaires !”
1.700 policiers anti-émeute mobilisés
La délégation du gouvernement de Madrid a annoncé d’ores et déjà qu’un dispositif de 1.700 policiers anti-émeute les accueillera pour l’occasion. Dispositif important qui n’est déployé qu’en cas de manifestations considérées comme “problématiques”. Pour les organisateurs, cette annonce était attendue:
Cela ne nous étonne pas. Nous pensons que c’est une provocation: ils essaient de nous faire peur et de désactiver la mobilisation parce qu’ils savent que nous seront nombreux”,
explique Lola.
Prévoyants, et dans le but d’éviter les débordements, les organisateurs du mouvement ont informé les manifestants qu’un collectif de 30 avocats serait prêt à les défendre en cas d’interpellation.
Prise de conscience citoyenne
Des centaines de milliers d’indignés sont attendus à 17h dans le centre de Madrid pour se joindre aux marcheurs et manifester leur lassitude. Mais les membres de ces Marches pour la dignité ne sont pas dupes, ils savent que leurs revendications ne seront pas écoutées par le gouvernement, comme le déplore Remedios:
Nous savons que, dans l’immédiat, cela ne changera rien. Le gouvernement au pouvoir a la majorité absolue, il fait ce qui lui chante. C’est un travail qui requiert beaucoup de patience mais, petit à petit, le peuple se rend compte que si nous ne nous mobilisons pas, ce sera pire”.
Face au grand nombre de collectifs et mouvements sociaux du pays, les Marches de la dignité mettent à l’épreuve le proverbe populaire “l’union fait la force”. Elles permettent aussi une prise de conscience citoyenne à défaut d’un peu probable changement politique.