Dieudonné : Le Conseil d’Etat rétablit la censure, au nom de l’ordre moral

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Par sa décision Dieudonné du 9 janvier 2014 (n° 374508), le Conseil d’Etat, par un revirement de jurisprudence, ouvre une logique destructrice de nos libertés : en imposant une morale juridique, en légitimant la censure, en bafouant le principe de responsabilité. La CEDH sera saisie, et la France peut se préparer à une nouvelle humiliation. Mais sans attendre la décision de la CEDH, et vu l’ampleur de ce qui est en jeu, nous devons nous organiser pour refuser cette spirale de la régression qu’ouvrent le Conseil d’Etat et le gouvernement. 

Le gouvernement ne sortira pas indemne de cette affaire, car c’est lui, qui méconnaissant la société, a allumé la mèche. Il croyait viser le saltimbanque Dieudonné, mais ce sont des parts entières de la société qui sont atteintes, et des ruptures in vivo se dessinent. Valls parle de victoire de la République… Que sait-il de la République ? En quoi la République appartiendrait-elle plus à lui qu’à nous ? Ce soir, les phraseurs habituels du PS faisaient les canards… comprenant que cette victoire est une grande défaite. Ils se sont laissés enfermer dans un jeu destructeur, et le paieront cash. 

Petite précision. Comme nous vivons ensemble les évènements de ces derniers jours, je précise que je ne change pas un mot des deux précédents textes publiés sur le sujet. Je prends date, et je dis tranquillement que mes petits articles de blog vieilliront mieux que l’ordonnance de référé du Conseil d’Etat.

Petite remarque. Ceux qui croyaient la juridiction administrative ensevelie sous les contraintes, et empêtrée dans des délais sans fin, sont rassurés. Le tribunal administratif de Nantes s’est prononcé à 14 heures, le ministre a fait appel, et l’audience devant le Conseil d’Etat s’est tenue à 17 h, pour un arrêt rendu à 18 h 30. La question des délais de justice est donc réglée en France, et ça, franchement, c’est une bonne nouvelle.

1 – L’argument du préfet

1759336560Pour prononcer l’interdiction du spectacle, le préfet de la Loire-Atlantique a relevé que :

– ce spectacle, tel qu’il est conçu, contient des propos de caractère antisémite, qui incitent à la haine raciale, et font, en méconnaissance de la dignité de la personne humaine, l’apologie des discriminations, persécutions et exterminations perpétrées au cours de la Seconde Guerre mondiale ;

– M. Dieudonné M’Bala M’Bala a fait l’objet de neuf condamnations pénales, dont sept sont définitives, pour des propos de même nature ;

– les réactions à la tenue du spectacle du 9 janvier font apparaître, dans un climat de vive tension, des risques sérieux de troubles à l’ordre public qu’il serait très difficile aux forces de police de maîtriser.

C’est tout ?

A ce stade, il était facile, dans l’approche classique, de suspendre cet arrêté, manifestement illégal.

Sur le motif principal, il suffit de reprendre la base de la liberté d’expression, et c’est que fait la jurisprudence depuis 1933. Le spectacle se tient, au nom de la liberté d’expression. On installe trois flics dans la salle, et si des propos antisémites sont tenus, le parquet fait délivrer le lendemain une citation directe devant le tribunal correctionnel, qui va statuer sur les abus de la liberté d’expression. Au passage, le préfet rappelle que le spectacle se tient depuis 6 mois à Paris sans réaction des pouvoirs publics… Alors, la découverte soudaine d’un péril, c’est totalement chelou.

Ensuite, les condamnations de Dieudonné, qui à coup sûr, ne sont pas à sa gloire… Seules deux concernent des propos tenus lors des spectacles, et ça ne démontre pas, comme dans un film, qu’une infraction aura lieu. C’est une demande, masquée, de censure.

Enfin, « les risques sérieux de troubles à l’ordre public qu’il serait très difficile aux forces de police de maîtriser », c’est juste de la blague quand on sait que le maire de la commune était opposé à l’interdiction du spectacle.

2 – La liberté d’expression proclamée… en mode minimal

2931370635L’ordonnance démarre mou du genou, en posant ainsi les termes du débat :

« L’exercice de la liberté d’expression est une condition de la démocratie et l’une des garanties du respect des autres droits et libertés. Il appartient aux autorités chargées de la police administrative de prendre les mesures nécessaires à l’exercice de la liberté de réunion. Les atteintes portées, pour des exigences d’ordre public, à l’exercice de ces libertés fondamentales doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées ».

C’est un résumé à peine correct, déjà en service minimum. Le Conseil d’Etat aurait du reprendre les classiques de la CEDH, ce qui aurait été nature à lui éviter se de faire, plus tard, rétamer à Strasbourg par une Europe qui commence à nous regarder comme un insecte.

La liberté d’expression vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent : ainsi le veulent le pluralisme, la tolérance et l’esprit d’ouverture sans lesquels il n’est pas de société démocratique » (CEDH, Handyside, 7 décembre 1976).

De même, la liberté de réunion protège aussi les manifestations susceptibles de heurter ou mécontenter des éléments hostiles aux idées ou revendications qu’elles veulent promouvoir (CEDH, Plattform « Ärzte für das Leben » c. Autriche, 21 juin 1988).

3 – Comment le Conseil d’Etat a sauvé le soldat Valls…

1248323044Le classique : les troubles à l’ordre public

La police allait être débordée par les troubles à l’ordre public… Pour expliquer, on a droit en tout et pour tout : « La réalité et la gravité des risques de troubles à l’ordre public mentionnés par l’arrêté litigieux sont établis tant par les pièces du dossier que par les échanges tenus au cours de l’audience publique ».

Bon. On n’en saura pas plus, mais chaque personne qui sait lire peut vérifier elle-même que la motivation totalement vague, et aucune information n’a été donnée sur une contre-manifestation. Aucun élément tangible.

Ce point sera balayé par la CEDH, qui insiste toujours sur la nécessité d’apporter des éléments tangibles et précis, pour justifier la mesure de manière convaincante.

L’innovation : retour de la censure

Accrochez les ceintures, voici la motivation sur la censure, garantie 100% alambiqué :

« Considérant qu’au regard du spectacle prévu, tel qu’il a été annoncé et programmé, les allégations selon lesquelles les propos pénalement répréhensibles et de nature à mettre en cause la cohésion nationale relevés lors des séances tenues à Paris ne seraient pas repris à Nantes ne suffisent pas pour écarter le risque sérieux que soient de nouveau portées de graves atteintes au respect des valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la tradition républicaine ».

C’est le grand bazar, et là, on trouve de tout. Le juge prend en compte des infractions, ça on connait, mais aussi des propos « de nature à mettre en cause la cohésion nationale ». Bigre, ça m’intéresse ! La cohésion nationale en danger ? Où ? Comment ? Par qui ? Je croyais que c’était le chômage qui menaçait la cohésion nationale, pas un saltimbanque…

En dans la foulée, le Conseil d’Etat nous ressort la « dignité de la personne ». Je rappelle qu’aucun texte de droit ne retient cette notion. Dans sa décision de 1994, qui avait inventé ce principe de dignité, le Conseil constitutionnel, avait pris pour référence le Préambule de 1946. Là, le Conseil d’Etat trouve la source dans la Déclaration des droits de l’homme de 1789. Impossible pour le Conseil d’Etat de citer un texte source : il n’y en a pas.

La dignité est du registre moral, et les conceptions de la dignité sont très diverses. L’idée d’une morale collective d’ordre public est liberticide, car elle envahit le champ de vos libertés et de vos vies privées, en imposant des manières d’être et de penser. C’est absolument insupportable, et la CEDH écarte cette morale.

Si des comportements ou des écrits dépassent les bornes sanctionnez, mais fichez la paix à ceux qui vous la fichent, e si vous voulez vraiment vous occupez de leurs conceptions morales, faites des livres, des émissions, des spectacles, des campagnes de com’, mais de grâce : ne passez par le droit ! Le droit, c’est : « si tu voles, tu seras puni selon les termes de la loi ; la morale, c’est : « tu ne dois pas voler ». Les deux sont utiles, mais il ne faut pas les confondre. La loi, c’est la liberté individuelle par principe, et la sanction ne vient qu’en cas de dépassement de la loi, et dans les formes prévues par la loi. Donc, tant que tu ne violes pas la loi, tu mènes librement ta vie. La morale est dans une logique inverse : elle définit un mode de vie et de pensée, et cherche à orienter globalement un comportement. Elle est donc très utile, mais elle doit rester sous le seul domaine de la sanction en conscience. Si la morale devient une règle juridique, le droit envahit l’espace privé et la liberté, et l’autorité publique peut alors définir ce qui est bien et ce qui est mal. Le ministère de l’intérieur devient ton guide de conscience. C’est effroyable.

Ce Conseil d’Etat, fatigué, préfère se simplifier la vie en posant le principe de la censure. Le ministère de l’intérieur étudie, avec ses experts moraux, si un spectacle est conforme à la dignité humaine, et si ce n’est pas le cas il peut l’interdire.

On ajoute, car tant qu’à être minable, lâchons-nous : si le responsable du spectacle prend l’engagement que des propos pouvant être des infractions ne seront pas tenus, et bien, on s’en fiche. C’est dire que le Conseil d’Etat, devenu, censeur d’Etat, dénie même le principe de responsabilité.

Cette décision du Conseil d’Etat est grave, car elle établit le devoir moral du ministère de l’intérieur de Contrôler la dignité des spectacle, et de pouvoir les censurer. Ça, ce n’est ni la République, ni l’Etat de droit.

Aujourd’hui, c’est Dieudonné. Quel sera le prochain sur la liste ? Battons-nous pour nos libertés. C’est un devoir.

Comme l’histoire s’invite dans l’actualité, je rappellerai demain ce qu’a été le rôle du Conseil d’Etat  sous le régime de Vichy. Garanti sans censure.

http://lesactualitesdudroit.20minutes-blogs.fr/

18 Commentaires
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ielta
10 janvier 2014 9 h 51 min
Prem’s .. Bienvenue dans le nouvelle dictature !
Diablo
10 janvier 2014 15 h 55 min
Répondre à  ielta
Mais non pas prem’s. La dictature il y a déjà un bon moment qu’on y est…
ielta
10 janvier 2014 16 h 21 min
Répondre à  Diablo
vrai ! et l’éveil est temps ..
caligula63
caligula63
10 janvier 2014 16 h 13 min
Répondre à  ielta
Prem’s?
Ah zut! Je m’a trompé. Je croyais être sur Réseau International et je me retrouve chez Allain Jules…
Damned! Mozilla pourquoi m’as-tu trahi!?
ielta
10 janvier 2014 16 h 20 min
Répondre à  caligula63
😉
raimanet
10 janvier 2014 10 h 53 min
une fausse victoire en vrai trompe l’ oeil …
Bernard Cuny
10 janvier 2014 12 h 23 min
Le “Conseil d’Etat”, organisme sous contrôle de la majorité politicienne dite “représentative” PS-UMP, cet ensemble étant lui-même sélectionné et mû par les relais locaux (CRIF…) de l’entité coloniale et colonialiste établie en Palestine, auto-définie et proclamée “Etat Juif au nom d’Israël”, vient de sauver in-extrémis par un “arrêt” politique dépourvu de tout fondement juridique, son petit soldat Valls-le haineux, en grande difficultés pour sa “carrière” suite à la décision du tribunal administratif de Nantes d’autoriser le spectacle “Le Mur” de notre talentueux humoriste Dieudonné M’bala M’bala…

Le 26 janvier, jour de colère à Paris…Amis quenelliers Résistants, citoyens français de toutes origines ethniques et de toutes confessions, religieuses et athée, soyons présents avec notre drapeau tricolore et une quenelle symbolisant la liberté d’expressio à la main !…

Ami ! entends-tu le vol noir des vautours sur nos plaines ?
Ami !…Si tu tombes, un ami sort l’ombre à ta place !

Mayday
Mayday
12 janvier 2014 23 h 55 min
Répondre à  Bernard Cuny
le 26 janvier donc c’est jour de colère dites vous, mais avez vous été voir sur le site des facho islamophobes riposte laique et autres? ils disent que ce sera une colère contre les citoyens musulmans !
ce sont eux le vol noir sur nos plaines. ?
Je suis pour une colère contre la haine et l’injustice des lobbys organisés contre le deux poids deux mesures entre citoyens.
En colère contre le CRIF et la LICRA qui dictent leurs lois au gouvernants de la France., c’est tous ces ennemis là qu’il faut mettre hors d’etat de nuire car pendant ce temps là le chomage sévit et la precarité avance à grand pas ,et le crif et la licra n’en ont cure se fichent des pauvres francais qui perdent leur emploi et qui souffrent.
le crif et la licra sont le vrai problème car ils imposent leur diktat et detournent l’attention de ce qui ne va vraiment pas.
Pour eux le vrai problème de la France aujourd’hui c’est Dieudonné !
demain à qui le tour ?
Je pense que le vol noir des vautours sur nos plaines ce sont ceux qui nous divisent pour régner !
raimanet
10 janvier 2014 13 h 46 min
A reblogué ceci sur raimanetet a ajouté:
le désordre sociétal comme avenir par les marionnettes de la démolition …
Diablo
10 janvier 2014 16 h 09 min
Le droit a-t-il été respecté ? Vu les délais très courts (une première nationale ?) Dieudonné n’a pas été représenté lors de la scéance du Conseil d’Etat. Est-ce légal ?
Si quelqu’un sait….
Quelle que soit la réponse il est clair que ce recours avait été anticipé.
caro
10 janvier 2014 21 h 20 min
il y a pire Diablo

Il semble que la décision ait été prise par un seul homme , par ordonnance , sans aucun argument de la défense .
Vous trouverez ici un texte écrite par une blogueuse de Mediapart qui ne laisse aucune ambiguité sur ce qui s’est vraiment passé au Conseil d’etat .

http://blogs.mediapart.fr/blog/ariane-walter/100114/ariane-walter-merci-valls

Petits arrangements entre amis , c’est le nouveau fonctionnement des institutions françaises .. Mais ce n’est pas très satisfaisant pour le concept même de la démocratie .

Vin
Vin
11 janvier 2014 16 h 23 min
Pour moi, tout cela est une grossière erreur politique du gouvernement. Dieudonné a eu sa publicité, on ne s’est pas occupé des français et l’interdiction est sévère.
Tout cela aura des conséquences juridiques et politiques notables.

http://www.blogactualite.org/2014/01/faut-il-interdire-dieudonne-de-spectacle.html
http://www.blogactualite.org/2014/01/dieudonne-interdit-le-debat-continue.html

bulle12
11 janvier 2014 22 h 58 min
Les prochains après Dieudonné…ben les Chevaliers du Fiel pourquoi pas, après tout il se moque de Jésus dans l’un de leur sketch, ce qui n’est pas très catholique 🙂 donc par principe moral il y aura censure grrr !
Bernard Cuny
13 janvier 2014 20 h 04 min

“le 26 janvier donc c’est jour de colère dites vous, mais avez vous été voir sur le site des facho islamophobes riposte laique et autres? ils disent que ce sera une colère contre les citoyens musulmans !”

Je ne doute pas une seconde que lors du “jour de colère” du 26 janvier se trouveront des islamophobes et arabophobes patentés…Quant aux tentacules de “l’Etat Juif” opérant dans notre pays, dont les principales sont le CRIF et la LICRA, je crois avoir été suffisamment clair à à leur sujet…Mais j’apprécie la démarche des initiateurs de cette manifestation: une coagulation de mécontentements, chacun des mouvements sociaux participant sous son propre drapeau et bien évidemment le mouvement quenellier avec le sien, la quenelle brandie comme une torche symbolisant les lutes pour le recouvrement de notre droit de penser librement et d’exprimer librement notre pensée, dans notre pays, la France, et au-delà, en Europe, en Occident !…

Si cette manifestation contribue à faire péter le système oppressif imposé en France par les tentacules de “la pieuvre” implantée en Palestine, sur fonds Négationiste de tout un Peuple, le Peuple Palestinien,, tant mieux !…Quittent à faire face, ensuite aux islamophobes et arabophobes, dont la perspective est la division des citoyens français de toutes origines ethniques et de toutes confessions, religieuses et athée…