La concurrence occidentale pour les marchés asiatiques s’échauffe

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« La Chine n’est pas la seule à mettre en place une alternative au TPP. L’Union Européenne amorce son propre rééquilibrage en direction de l’Asie, remettant ainsi en question les initiatives U.S.

Nicola Casarini

Le président Obama a profité de son dernier voyage en Asie pour faire avancer le Traité Trans-Pacifique (TPP, Trans-Pacific Partnership), accord commercial massif qui englobe douze pays au total, mais exclut la Chine. Le TPP constitue le pivot économique du rééquilibrage U.S. en direction de l’Asie, et la Chine réplique par la promotion du Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP) (Partenariat économique global régional), méga-accord commercial régional qui englobe l’ASEAN, le Japon, la Corée du Sud, l’Inde, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, mais exclut les États-Unis. Pékin met également la pression en vue de mettre en place un contrat de libre échange pour toute la région Asie-Pacifique, le FTAAP, manière de diluer le TPP et de continuer à bénéficier d’un accès préférentiel à certains de ses plus importants partenaires commerciaux.

Pourtant, la Chine n’est pas la seule à proposer une alternative au TPP. L’Union Européenne amorce son propre rééquilibrage en faisant pencher la balance du côté de l’Asie, remettant ainsi en question les initiatives U.S. et donnant aux pays asiatiques, dont la Chine, plus de poids dans les négociations commerciales avec les États-Unis.

La présence économique européenne en Asie se remarque en particulier dans les domaines du commerce et de la politique monétaire. Par exemple, Bruxelles est le premier partenaire commercial de Pékin, le volume des échanges dépassant les deux milliards d’euros par jour. L’UE est le troisième partenaire commercial de l’ASEAN, après la Chine et le Japon, mais devant les États-Unis. Globalement, près d’un tiers des exportations de l’UE est destiné aux marchés asiatiques. En outre, ceux-ci représentent des marchés en pleine expansion pour les entreprises européennes, qui font partie des plus gros investisseurs étrangers directs de la région. Dans le cas de l’ASEAN, l’Europe est, de loin, le plus gros investisseur. Depuis une décennie, les sociétés de l’UE investissent en moyenne 13,6 milliards d’euros dans la région.

Conséquence du développement exponentiel des relations commerciales, l’Asie est devenue le premier acquéreur d’actifs en euros. La part de l’euro dans les opérations de change des grandes banques centrales d’Asie représente, en moyenne 25 à 27 % des avoirs des principales économies asiatiques, ce pourcentage atteignant ou dépassant les 30 % en Chine (le plus gros détenteur mondial). Cela fait de l’euro la deuxième devise de réserve d’Asie, après le dollar mais devant le yen.

Le rééquilibrage économique de l’Europe en direction de l’Asie est enraciné – comme dans le cas des États-Unis – dans la prise de conscience du fait que l’Asie est désormais au cœur de la prospérité mondiale et des perspectives de croissance des puissances occidentales. Depuis 2011, l’UE a signé des accords de libre échange avec la Corée du Sud et Singapour ; elle en négocie un actuellement avec le Japon, le Vietnam, la Malaisie et la Thaïlande ; enfin, des pourparlers sont en cours autour d’un accord commercial et d’investissement avec l’ensemble de l’ASEAN.

La Chine et l’UE négocient en ce moment un traité d’investissement bilatéral qui, s’il aboutit, pourrait ouvrir la voie à un accord bilatéral de libre échange. Au dernier sommet de l’ASEM (Asia-Europe Meeting) – forum de dialogue interrégional entre leaders européens et asiatiques (Forum euroasiatique) – qui s’est tenu en octobre à Milan, le Premier Ministre italien Matteo Renzi a exprimé son soutien à l’ouverture de négociations autour d’un traité de libre échange avec la Chine. Si certains dirigeants européens tels que David Cameron, premier ministre britannique, ont déjà déclaré leur soutien d’un accord de libre échange entre l’UE et la Chine, la position de l’Italie – qui occupe actuellement la présidence du Conseil de l’Europe – est quelque peu surprenante lorsque l’on sait que les PME italiennes ont été durement touchées par la concurrence chinoise au cours de la décennie écoulée. Pourtant, la croissance léthargique de nombreux pays de la zone euro et l’augmentation des investissements chinois en Europe jouent en faveur d’une adoption rapide d’un accord UE-Chine.

Parallèlement aux relations sino-européennes, les dirigeants de l’UE et de l’Asie d’Extrême-Orient examinent des projets d’investissement interrégional et d’accord commercial. Cette initiative n’est pas sans rappeler les événements des années 90, lorsque la création du Forum euroasiatique a permis de contrebalancer l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation). Le Forum euroasiatique a offert aux Européens un forum leur permettant de s’impliquer dans le dynamisme économique de l’Orient, tandis que les élites asiatiques se félicitaient de ce processus interrégional dans la mesure où il permettait une intégration régionale exclusivement asiatique à laquelle les États-Unis ont souvent opposé de la résistance. C’est, par exemple, dans le contexte du premier sommet du Forum euroasiatique en 1996 que les consultations entre l’ASEAN plus la Chine, le Japon et la Corée du Sud ont conduit à la création de l’ASEAN+3, c’est-à-dire du même groupe de pays constituant aujourd’hui l’épine dorsale de nombreuses initiatives régionales, dont la RCEP dirigée par la Chine.

Le rééquilibrage de l’UE en direction de l’Asie s’appuie sur ce soutien de longue date à l’intégration régionale. L’UE n’a pas de troupes ni d’alliances militaires contraignantes en Asie, ce qui donne à Bruxelles les coudées franches pour s’impliquer dans la région sans être entravée par les considérations de sécurité et stratégiques qui pénalisent les États-Unis. Si, sur le plan politique, la présence de l’UE en Asie est globalement complémentaire de celle des États-Unis, les alliés transatlantiques sont en concurrence sur le plan économique. À mesure que les négociations autour du TPP avancent et que l’UE examine une alternative, une discussion transatlantique sur les priorités et intérêts économiques en Asie s’impose. La nouvelle Commission Européenne prenant ses fonctions ce mois-ci, et le voyage du président Obama en Asie étant terminé, c’est peut être le bon moment.

Nicola Casarini est spécialiste des questions de politique générale au Wilson Center de Washington, D.C.

Source : Nationalinterest.org

Traduit par Gilles Chertier pour Réseau International